Chères plumes,
C’est derrière nos écrans que nous nous sommes réunis pour cette deuxième édition de notre cercle d’écrivants.
Ce samedi 14 novembre, à l’heure habituelle, nous étions sept plumes connectées sur Skype pour une édition exceptionnelle en visioconférence. Merci à Pauline qui avait préparé cette salle de réunion virtuelle, et fait en sorte que cette séance puisse avoir lieu malgré le confinement. Et merci à tous ceux qui ont pu nous rejoindre pour ce deuxième atelier.
Le thème de cette nouvelle Cabane à plumes était : L’INCIPIT, comment écrire un incipit efficace et accrocheur.
TEMPS D’ÉCRITURE n°1
Nous avons commencé par un temps d’écriture très court, cinq minutes, seulement pour s’échauffer. La consigne de ce premier exercice était :
« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » Voici l’incipit d’Aurélien, d’Aragon. Je vous propose d’écrire les lignes qui suivent. Ne réfléchissez pas trop, écrivez ce qui vient, c’est un premier exercice destiné à s’échauffer. Amusez-vous.
UN PEU DE THÉORIE
Pourquoi l’incipit est si important ?
Que vous choisissiez d’écrire vos mémoires, ou un conte, un polar ou une nouvelle, un roman d’amour ou un récit d’aventure, ce sont les premières pages qui vont donner le ton du reste de l’histoire.
En tant que lecteur, vous-mêmes, vous l’avez déjà constaté : ce sont les premiers mots, les premières pages d’un livre qui vous donnent envie de continuer votre lecture. Lorsque vous écrivez, gardez cela en tête.
Et puis, si vous désirez un jour vous faire éditer, cela se passe de la même manière : les éditeurs voient défiler des centaines de manuscrits chaque jour, ils les lisent rarement en entier et vont parfois se faire une idée de l’ensemble, à partir du seul début. L’incipit de votre roman doit être accrocheur, afin de retenir l’attention d’un éventuel éditeur.
Écrire un incipit
Lorsqu’on écrit un long texte, il est normal que le début soit tâtonnant. On n’est pas encore familiarisé avec la tonalité de notre récit, avec la façon de s’exprimer et de penser de chaque personnage, on a une vague idée de ce qu’on veut raconter, mais le train se met en branle et peine à raccrocher tous les wagons.
Peu importe, il s’agit d’écrire, de se lancer, et on verra après !
Une fois que votre texte sera complètement écrit, du début à la fin, une fois que vous aurez placé le point final de votre récit, alors vous pourrez reprendre l’incipit, le remodeler à l’aune de tout ce qui a été écrit à sa suite, et ainsi lui permettre de s’aligner sur le reste du texte.
Il faut envisager les vingt, trente premières pages d’un récit comme un diamant brut à travailler et retravailler encore, à polir et ciseler pour en faire un joyau. Ce sont elles qui donneront envie au lecteur ou à un éditeur de donner une chance à votre histoire.
Il existe plusieurs sortes d’incipit :
– 1 –l’incipit statique : il est informatif comme dans un roman descriptif. Sans action, l’incipit expose le lieu, les personnages, etc. C’est celui qui, grâce à d’habiles descriptions, campe avec habileté le décor, l’ambiance et les personnages. Il amorce les choses en douceur, généralement par la situation initiale, avant que ne survienne l’élément déclencheur. C’est le calme avant la tempête.
– 2 – l’incipit progressif : il distille des informations au fur et à mesure des phrases sans tout dire. Tout comme le précédent, celui-ci présente les personnages et le contexte, avant l’entrée en action, mais il se distingue en ne livrant quant à lui l’information qu’au compte-gouttes, en créant certaines zones d’ombres propres à intriguer le lecteur. Juste assez, mais pas trop.
– 3 – l’incipit dynamique : Ce type d’incipit plonge d’emblée le lecteur au cœur de l’action. Il ne s’embarrasse pas de situation initiale. Soit l’auteur a choisi de passer celle-ci sous silence, soit il y reviendra un peu plus tard dans le récit. Ce genre d’incipit pourrait être celui, par exemple, d’un roman qui s’ouvre sur un personnage en fuite, ou sur un meurtre, dans un polar. C’est exactement ce qui pique notre curiosité pour la suite. La littérature contemporaine est très friande de ce genre d’entrées en matière.
– 4 – l’incipit suspensif : il déroute le lecteur et fournit peu d’informations. C’est l’incipit qui retarde l’entrée en action, soit en déroutant le lecteur et en semant la confusion dans son esprit, soit en lui offrant une lente (et parfois laborieuse!) introduction avant l’entrée dans le vif du sujet. Ce pourrait être le cas, par exemple, d’un roman qui commencerait par la présentation exhaustive de la généalogie d’une dynastie avant de commencer vraiment le récit. C’est plus rare aujourd’hui.
On peut en combiner plusieurs comme on le désire, en fonction de l’effet que l’on recherche.
L’incipit a trois fonctions :
Informer
En ouvrant le livre à la première page, et en lisant les premières lignes, le lecteur devrait être en mesure d’identifier quelques éléments importants : de quoi parle le livre, qui sont les personnages, quand se déroule l’histoire et dans quel contexte ?
Intriguer
Les premiers paragraphes doivent séduire le lecteur en introduisant d’emblée un scénario captivant. De cette manière, le lecteur aura envie de poursuivre sa lecture afin de découvrir la suite des choses.
Annoncer le genre et le ton
L’incipit sert généralement à laisser entrevoir au lecteur de quel genre littéraire il s’agit.
Dès l’incipit, on doit pouvoir distinguer un roman jeunesse d’un roman policier par exemple, ou un roman d’amour d’un récit de science-fiction.
Déjà dans les premiers paragraphes, le choix du vocabulaire et le style d’écriture conféreront le ton approprié au texte, et mettront le lecteur dans l’ambiance adéquate.
Des exemples d’incipit :
Il y a bien sûr des incipit classiques, incontournables, comme le fameux « Il était une fois… » des contes. Cette formule toute faite, qui semble sans originalité, a l’avantage d’annoncer clairement que l’histoire qui va suivre se conforme à un genre particulier, et l’horizon d’attente du lecteur se créera en conséquence.
Voici d’autres incipits célèbres :
Ceux qui déstabilisent :
Aurélien, Louis Aragon : « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. »
L’Étranger, Albert Camus : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : “Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.” Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. »
L’incipit qui comporte une morale :
Anna Karénine, Léon Tolstoï : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon. »
L’incipit provocateur :
L’attrape-coeur, J.D. Salinger : « Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c’est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d’enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m’avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j’ai pas envie de raconter ça, et tout. »
TEMPS D’ÉCRITURE n°2
Le thème était : écrire l’incipit d’une nouvelle.
Cette fois, nous ne sommes pas partis d’une phrase comme celle d’Aurélien, mais des personnages de la nouvelle que nous allions écrire.
Il s’agissait d’écrire sur un couple improbable.
La situation de départ était : vos deux personnages, mal assortis, se connaissent peut-être déjà, ou bien se rencontrent dans l’incipit (à vous de le déterminer). Le premier demande au deuxième de faire quelque chose, mais le deuxième n’est pas d’accord.
Le temps d’écriture pour ce second exercice fut de vingt minutes.
Puis, chaque participant a lu son texte au groupe. C’était extrêmement intéressant et intrigant, mais quelle frustration pour nous, auditeurs/lecteurs, de nous contenter de ces débuts et de rester sur notre faim ! Chaque écrivain a su doser le mystère et jouer de suspens pour nous donner envie d’en savoir plus. À présent, il ne reste plus qu’à espérer que ces incipits seront développés par leur auteur et aboutiront à des nouvelles que nous lirons avec délectation, c’est certain !
Mais en attendant, je vous propose de partager sur le forum vos incipits rédigés lors de cet atelier ou plus tard pour ceux qui n’ont pas pu être avec nous ce matin ! Nous vous lirons avec attention et plaisir.
À demain pour un nouvel article sur le blog !
L’équipe de La cabane à plumes.
Pour rédiger cet article et préparer la séance, nous nous sommes aidées des sites :
lepigeondecoiffe.com
untexteunjour.fr
Un grand merci à leurs auteurs pour leur travail.
Bonsoir, encore merci pour l’atelier d’aujourd’hui ! Je me suis beaucoup amusé, tout en apprenant.
1er exercice :
La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Il avait beaucoup entendu parler d’elle. Pourtant, en dépit des nombreux récits qui couraient sur sa laideur, leur rencontre représenta un choc pour lui. En effet, en raison de l’importante dot qu’allait leur apporter Bérénice, son père les avait promis l’un à l’autre. Aurélien ne put réprimer un mouvement de recul : il allait donc passer le reste de sa vie avec cette créature.
(Cet incipit pourrait se caler juste avant celui de Brigitte.) 😉
2nd exercice :
La vieille mégère ne cessait de ronchonner ; cela faisait des heures qu’elle pestait et envoyait des insultes à tout-va. Cela faisait également des heures que son jeune mari et elle se trouvaient perdus dans la forêt, loin de leur hameau.
De 40 ans plus âgée que Jean, Germaine avait entraîné ce dernier dans les bois pour y trouver du gui. Elle prétendait en avoir besoin pour l’une de ces mystérieuses potions que lui commandaient les autres habitantes du village. Véritable dragon, elle ne pouvait admettre qu’on lui résistât. Malgré le refus initial de Jean, elle était encore une fois parvenue à l’embarquer dans ses aventures foireuses.
C’est ainsi également qu’en dépit de ses poils au menton et de son regard cruel, elle avait réussi, par on ne sait quel secret, à épouser ce jeune homme fraîchement débarqué de la ville pour effectuer une étude ethnographique sur les habitants de cette région reculée des Charentes…
Merci Shervin !
1er exercice :
» La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il l’a trouva franchement laide… Il savait qu’il devrait vivre sa vie d’homme avec cette femme. Alors il ferma les yeux et Bérénice apparu : de longs cheveux blonds, un front dégagé, des yeux pétillants d’un bleu qui rejoignait la mer. Sa silhouette svelte était vêtu d’un léger voile. Sa bouche, bien dessinée, humide appelait un baiser.Il s’approcha d’elle, tout près d’elle. Il ouvrit les yeux : elle était toujours aussi laide!
2nd exercice : à venir quand la totalité du texte sera fini
Merci pour la séance VISIO
Suzanne et Gabriel :
Improbable rencontre
Incipit :
Midi sonne au clocher de la Chapelle. Monsieur le Curé sort par la petite porte d’un pas rapide, il croise deux paroissiens en bas des marches. L’Homme semble désorienté, la Femme paraît agitée. « Bizarre » se dit Monsieur le Curé, « je ne les connais pas ces deux-là ! ». Puis il accélère le pas, tourne à droite. Monsieur le Curé est en retard à son RDV à l’archevêché.
Dans l’Eglise est encore chaude, joliment fleurie et âcrement parfumée, les deux êtres se recueillent chacun de leur côté.
L’Homme se lève, allume un cierge, prenant au hasard la bougie dans une boîte. D’un bond, la Femme est près de lui et lui demande, un gros billet de banque à la main, de la monnaie.
L’homme la regarde, incrédule, la Femme insiste, répète de plus en plus fort.
Gabriel est affolé : on ne crie pas dans une Eglise.
Suzanne, toute à sa plaidoirie du matin, cherche à convaincre cet homme peu enclin à satisfaire son besoin.
Gabriel ne comprend pas : que lui veut cette femme et cet argent qu’elle brandit sous son nez, c’est pour quoi faire ?
Suzanne s’entête ; on ne résiste pas au ténor du Barreau qu’elle est.
Plus elle crie par la bouche, plus Gabriel crie avec ses yeux.
Les cloches sonnent la demie, un ange passe. Le verdict va tomber.
Suzanne croit entendre une petite voix murmurer : « Heureux les sourds au Royaume des Cieux ».
Partie 1 :
Vexée, Suzanne sort de la Chapelle, raide comme la Justice, elle retourne au Palais. Les jurés ont délibéré, l’audience va reprendre.
L’hermine du col du Président frissonne : chacun sait dans cette salle que l’énoncé de la peine fera jurisprudence. D’une voix forte le distingué Magistrat reprend les chefs d’accusation, rappelle la peine requise par le Procureur puis en vient aux réponses des questions sur lesquelles les jurés viennent de débattre. Tel un automate ce haut personnage scande un seul et même mot : « Non ». Stupeur ! « Omar n’a pas tué ?». Sommes-nous dans le bon procès, est-ce bien le verdict de la 5°chambre des Assises ? Les regards se croisent et s’interrogent. Acquitté, c’est bien cela ? Maître Suzanne Lombard regarde le très sérieux Président de la Cour, lui aussi dubitatif et étonné ; puis lentement elle se retourne vers Omar et lui sourit.
Alors seulement une onde d’enthousiasme et de désapprobation parcourt la foule suspendue dans cette salle. Certains s’étreignent quand d’autres partent d’un pas précipité
Plus de menottes aux poignets d’Omar : il est LIBRE, il cherche du regard son avocate. Suzanne a disparu. Aucune camera ne fixera son triomphe, aucun interview n’expliquera sa stratégie. Elle s’est faufilée, la petite porte sur la cour l’a aspirée.
Dehors d’un geste féminin et rapide, elle remonte le col de son manteau, sort de son sac des lunettes noires et d’un pas décidé longe le quai. Elle descend l’escalier vers sa promenade favorite ; elle a toujours aimé marcher le long de la Seine. Suzanne reprend sa respiration, son pas se ralentit, la statue du Vert Galant à la pointe de l’île, l’attend.
C’est là sur ce banc de pierre qu’elle aime à réfléchir. Lorsqu’elle se relève lentement sa décision est prise. En remontant elle passe devant » le 36 », lève les yeux à l’angle du 2ème étage, compte la 3ème fenêtre à droite. Un grand sourire éclaire alors son visage, ultime clin d’œil avant de disparaitre.
Le Monde du soir fera de cet acquittement la « Une » de son éditorial :
Maître S. Lombard a réussi là où le talentueux Jacques Vergès avait échoué quelques années plus tôt.
La presse du matin s’étonne de l’absence de cette brillante femme dans les médias et commence à interroger.
Il est 8heures au café de la Tour, Gabriel tente de sa main droite un exercice périlleux : tremper son croissant dans la si petite tasse d’un expresso fumant. Ah ! se dit-il « c’était mieux chez Mémé, mon visage entier pénétrait le bol en grès ». De sa main gauche il attrape le journal laissé à la table voisine. Son regard saisit le gros titre : « Omar acquitté ! », puis ses yeux glissent vers la photo en haut de la colonne de droite. « La victime ? » se dit-il. Non ce visage lui parle. Gabriel, laissant son croissant en suspension, approche le quotidien et scrute avec plus d’attention le cliché : aucun doute cette femme est celle de la Chapelle.
Partie 2 :
Suzanne sait que désormais elle n’a plus rien à faire dans cette ville.
Suite…. A venir