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1- Juste la paix par Françoise

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Ma vie professionnelle était devenue un enfer. Tout allait de mal en pis. J’avais l’impression chaque matin qu’un nouveau train de problèmes allait envahir ma journée.

 

Pourtant chaque soir, écrasée par un épuisement qui allait crescendo, je me consolais en me persuadant que j’avais touché le fond et que demain ne saurait être pire.

 

Las, tout recommençait le lendemain, pareil ou autrement, mais de toutes façons, l’accumulation ne s’arrêtait pas.

 

Il est vrai qu’un jour de grand vent, je m’étais « vocationnée » D.R.H. Je me sentais généreuse, altruiste, Mère Theresa ou Ménie Grégoire au choix,  avec une capacité d’empathie et d’écoute inépuisable.

 

Et donc, depuis cinq ans, je passais des heures à recueillir les doléances des uns et des autres, à résoudre des situations souvent dramatiques, plus rarement drolatiques, à jouer les entremetteuses ou les médiatrices entre des hiérarchies soupçonneuses et du personnel s’estimant harcelé… Pour autant, il ne s’agissait pas d’oublier de remplir le postulat administratif d’une collectivité territoriale inorganisée et dilettante,  que les alternances successives avaient noyée dans une incompétence de gestion logistique et humaine affolante.

 

La palette était infinie : soucis avec les ados, egos surdimensionnés, problèmes de fin de mois, de plomberie, de place en crèche, de comportements agressifs, parfois déviants, de crédits, de cuisine, de divorce, de bricolage,  mais aussi, de politique, d’organisation des réunions, de sécurité, de bien être au travail, de bagarre syndicale….

 

J’étais devenue un réceptacle pour 600 agents de niveaux, horizons, aptitudes et inaptitudes divers sans que je puisse seulement organiser des cases, susceptibles d’en limiter les contours.

 

 

Heureusement, ma vie affective était un désert. A part ma petite sœur et nos longs conciliabules à distance, personne ne partageait mes jours. Arrivée tôt le matin au bureau, j’avalais sans relâche des journées de dix heures, passant d’un dossier à un autre, d’un drame à un autre, oubliant régulièrement de prendre les pauses indispensables et parfois même de me sustenter.

 

Voilà pourquoi, un week end où l’appel de la nature était supposé me laver du stress de la semaine, au terme d’une randonnée sur des chemins escarpés, j’étais tombée en arrêt devant une masure délabrée, posée au milieu de nulle part, entourée de bois et de verdure dans un silence monacal

uniquement troublé par le chant des oiseaux. Au faîte de la colline, elle se prolongeait par une terrasse herbue avec un panorama à 180 degrés, dominant les villages alentours. J’étais partie intégrante d’une maquette champêtre vallonnée , colorée,  géométrique,  avec des  parcelles de vignes à perte de vue.

 

 

Je réussis à entrebâiller un volet de guingois et découvris une grande pièce où les araignées avaient tissé partout des rideaux de dentelles. Un fauteuil éventré et bringuebalant, une table bancale, couverts d’une poussière épaisse attestaient d’une occupation antérieure. Un verre à pied opaque  incongru avec une bouteille de vin depuis lors vinaigré étaient posés sur la pierre d’une cheminée noire dont la crémaillère affirmait qu’un jour, quelqu’un avait utilisé le chaudron pour une potée dont j’imaginai même l’odeur.

 

Émerveillée, je fis le tour des murs de pierre et découvris sous le lierre, un écriteau « à vendre » avec un numéro de téléphone à 8 chiffres prouvant la date de l’information. Immédiatement, en rajoutant l’indicatif local, je tentais l’appel et miracle, l’étude Miremont me confirma que ce bien, « sis » à Trifoullis en Beaujolais était disponible depuis des lustres, juste pour une bouchée de pain ….

  • Ah non, la grange un peu plus loin ne fait pas partie de ce tènement et nous ne savons pas à qui il appartient.

 

Qu’a cela ne tienne, rendez vous fut pris et la transaction rondement menée. Un mois plus tard j’étais l’heureuse propriétaire de ce havre de paix que j’entrepris de rafistoler au plus court. Je passerai là des week end de rêve ; je pourrai décompresser, me lancer dans le jardinage, ne rien faire, méditer, parler aux fleurs…oublier, m’oublier…

 

Quel bonheur de pouvoir se ressourcer ainsi dans la luzerne. Dorénavant, j’arrivais tard le vendredi soir. Je récupérais ma chilienne et déjà la contemplation des étoiles dans un silence bruyant était une promesse. Je m’octroyais systématiquement cette parenthèse et dans un long soupir de bien-être je m’attelais à la liste des tâches à réaliser qui occuperaient tant mes mains qu’elles laveraient ma tête de tout ce quotidien trop lourd.

 

Dès que j’aurai mis un peu d’ordre, j’inviterai ma sœur à partager ces moments magiques.

 

Ca a duré deux mois.

 

 

Allô, c’est moi

Dis, tu te souviens de cette discussion… on s’était amusées à imaginer à qui on demanderait de l’aide si on devait se débarrasser d’un cadavre ?

Euh …oui en plaisantant, tu m’avais dit que c’est à moi que tu demanderais car tu me faisais absolument confiance …

 

 

 

Ben voilà c’est arrivé. Écoute, tu n’as pas eu l’occasion encore de venir dans mon repaire et je ne voulais pas t’inquiéter. Mais tu sais, la grange, un peu plus loin est occupée maintenant et toute ma tranquillité s’est envolée avec l’arrivée de ce rustre.

 

Dès que je l’ai vu, l’animosité a été instantanée. Nous ne nous sommes pas vraiment présentés mais le premier abord n’a guère été concluant. Bien plus grand que la moyenne, il a commencé à me toiser de ses petits yeux tout ronds et bizarrement rapprochés. Son nez d’aigle lui donnait un air arrogant, prétentieux, condescendant et bien que nous n’ayons pas échangé un traître mot, le blocage a été immédiat et définitif.

 

Pourtant, il s’obstinait à venir chez moi. Je te jure,  il me cherchait. Il arrivait sans crier gare, bombant le torse, chamarré comme d’habitude,  sur ses jambes maigrelettes. Sans moufter, il me regardait avec son air hautain en affirmant son importance. Il faisait le tour de la maison, avec cette drôle de démarche dandinante, suffisamment loin pour que je ne puisse pas l’interpeller, mais suffisamment près pour que je me sente agressée. J’avais peur qu’il ne me saute dessus et j’avais toujours une fourche à portée de main au cas où.

 

Finie ma sérénité. Moi qui aimait tant dormir toutes portes et fenêtres ouvertes, ce n’était plus possible. Et tôt le matin, il tenait à faire savoir qu’il était réveillé et à en faire profiter le voisinage. Il se bagarrait sans cesse avec ses acolytes et j’étais sûre qu’un jour cela finirait mal. Je les entendais à distance, vociférer et s’insulter, lui montant sur ses ergots à la moindre contradiction. C’était insupportable.

 

Je retrouvais mon stress d’avant et ma productivité au bureau a recommencé à baisser. Je me sentais à nouveau oppressée et mal dans ma peau. Le vendredi soir n’était plus bienvenu.

 

Alors, j’ai commencé à réfléchir au moyen de sortir de ce cauchemar. Il fallait que ça cesse. Personne ne pourrait impunément me voler mon équilibre si péniblement retrouvé.

 

Et je l’ai fait. J’avais retrouvé cette machette avec laquelle nous dégagions le terrain pour installer notre tente de camping, tu te rappelles ?

 

Donc je me suis cachée derrière le grand chêne sur le chemin et j’ai attendu patiemment qu’il arrive. Je le voyais prendre son temps, examiner la terre, disséquer une herbe, gratter le tronc d’un arbre, repérer les fourmis…On aurait dit qu’il tenait à me montrer ses capacités de biologiste, botaniste, entomologiste… Cela aurait dû définitivement me convaincre de sa  supériorité, non ?

 

Mais j’étais bien décidée et tellement en rage que je savais que rien ne pourrait m’arrêter, moi qui ai horreur du sang.

 

Mon cœur battait à tout rompre mais je ne pensais plus à rien. Je voulais seulement que ça cesse. Alors quand il est passé devant moi, j’ai brandi la machette et je l’ai occis tout de go dans un geyser écarlate. Après, je l’ai trainé dans l’appentis derrière la maison. Il était lourd ce bougre.

 

Maintenant, il faut que tu viennes m’aider. Tout doit disparaître et j’ai besoin de toi. Tu sauras ce qu’il faut faire.

 

D’accord à tout de suite et ne dis rien à personne. Apporte du vin. On en aura besoin.

 

Bon alors, récapitulons :

  • d’abord plumer le volatile.
  • Couper les pattes. Réserver la crête, c’est un mets de choix.
  • Débiter en morceaux et faire mariner 24 heures dans un bon vin rouge avec ail, oignons, bouquet garni.
  • Placer dans le chaudron, recouvrir à hauteur, saler, poivrer. Fermer hermétiquement.
  • Prévoir trois heures et plus si affinités.
  • Enfin rajouter une bonne cuillère de crème fraîche et servir avec une purée de patates douces.

 

A TABLE. !!!!!!!! Merci ma chérie. Je savais bien que tu connaitrais la meilleure recette de coq au vin.

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